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CRETE - Octobre 2008
Le 22 Octobre 2008, je pars seul pour l’île de Crête : j’ai l’intention de faire de la reconnaissance et peut-être un peu d’exploration. J’atterris le 23 à Patras et je file au Pirée, à Athènes, d’où je prendrai le bateau jusqu’en Crête. J’ai du temps devant moi : je préfère donc quitter l’autoroute à Corinthe pour prendre l’ancienne route, retrouver un bon bar et y prendre un café pour m’attarder sur de vieux souvenirs. Le bon vieux temps défile devant moi : je revois le pont de Corinthe et sa passerelle qui se penche au-dessus du vide. Chaque année, des millions de touristes passent ici au milieu des marchands de rue, des restaurants et des bars. Jean-Jacques et moi, depuis notre premier voyage ici, avions pris cette habitude de nous arrêter au passage à chaque fois dans ce même bar. C’est un bar anonyme, connu surtout des touristes, où on ne sert que de la malbouffe et absolument rien de typique. Pour nous, c’était bizarre de nous arrêter dans un tel endroit : nous avions plutôt l’habitude de rechercher la bonne cuisine… Cette année, l’endroit semble avoir changé : peut-être ont-ils changé les meubles ou refait la peinture, quoi qu’il en soit, l’endroit m’est spécial car c’est ici que, l’année passée, j’ai dit au revoir à Jean-Jacques pour la dernière fois… Comme d’habitude, je commande un café glacé, puis je me laisse divaguer à mes souvenirs. Je fini le café, je repars vers le Pirée, et au moment où j’y suis presque arrivé, je me trompe de chemin et fais un détour de plus de 10Km : comme à chaque fois, je semble être aspiré par le trafic chaotique d’Athènes. Finalement, j’aperçois le monstre d’acier flottant qui m’abritera pour les prochaines 9 heures. Et comme on ne peut toujours pas trouver de ticket « camping à bord », j’attrape un matelas mousse, un sac de couchage, un bouquin et je pars à la recherche d’un coin tranquille sur le pont supérieur pour dormir à la belle étoile. Demain, à 5h00, j’arriverai en Crête pour rencontrer Yiannis Bromirakis et Kostas Fotinakis. Le 24 Octobre, au même endroit que l’année passée mais à quelques jours de décalage, je viens chercher les clefs du dépôt où j’entreposerai mon équipement puis je file à la source Almiros. Il y a un an, j’avais tout juste pu voir la topographie de la cavité n’attendant que d’être explorée avant de recevoir l’appel téléphonique pour Jean-Jacques. Mais je suis de retour ! Je prépare un Bi10 et mon équipement de plongée spéléo, je roule une centaine de mètres sur une route inégale et je me retrouve face à une grille. Je l’ouvre et je continue un moment. Je suis seul. Il y a juste quelques chèvres près d’un mur qui sert de digue. Je m’approche de l’échèle pour monter sur le mur et je tombe sur un grand chien en décomposition, il semble s’être endormi à l’endroit qu’il a choisi pour finir les dernières minutes de sa vie. Je me tiens sur le mur et je peux voir le lac. L’eau est limpide : elle est tellement claire que je peux voir les pierres au fond, clairsemées d’algues. Malheureusement, comme à tous les endroits accessibles par la « société civilisée », il est possible ici aussi de voir des carcasses de voiture et un sol jonché d’ordures le long de la route menant à la source. Peu importe, cela ne détruira pas le côté magique de cet endroit. Je fixe le fil de mon dévidoir à un fer qui dépasse de la plateforme en béton armé délimitant le côté du lac, je déroule 20m et je le jette dans l’eau. Je le vois tourbillonner avant d’atteindre le fond, pendant que le fil se tend. Je le vois si bien : j’ai l’impression de pouvoir l’attraper de la main, cette transparence est fantastique. Je finis de m’équiper et je saute à l’eau, très excité ! « Je ne peux y croire, c’est un monde magique !». Je palme rapidement vers le fond du lac ; le courant devient de plus en plus fort particulièrement lorsque je me penche au-dessus de l’entrée de la cavité. Je m’incline vers le fond et je me tracte sur les pierres en passant sur les épaves qui jonchent le sol…Il y a une carcasse de voiture, une de moto, le châssis d’une mobylette et quelques tubes en plastique. C’est si triste… Je vais de l’avant sans hésiter, bientôt, ces détritus disparaîtront avec le soleil qui, lui, me suivra jusqu’à -35m. Le courant est fatiguant, quasiment impossible à combattre avec juste des palmes. A -44m, la galerie remonte en se rétrécissant. Où sont donc les formes dont je me souviens de la topographie ? En remontant, je dois faire attention à la vitesse : la grotte veut me jeter dehors. Je repense à la cavité et à mon erreur : je réalise maintenant que j’ai sous-estimé la complexité de ce système, la galerie que je souhaite explorer devrait commencer moins profondément… J’ai eu un an pour étudier la topographie et je ne l’ai pas fait. Du coup, je me relaxe dans les algues flottant dans le courant, cela ressemble à un magnifique tapis d’herbe. Une anguille sort soudainement du voile vert et nage calmement dans le lac. Je la suis mais elle s’échappe rapidement : je peux toujours la contempler, même à 30m de moi. Lorsque je décide de remonter, je contrôle machinalement le profondimètre : je suis toujours à -15… la clarté de l’eau me ferait croire être proche de la surface. La température est de 16°C. En remontant, je sens la chaleur de l’eau et l’odeur d’algues en décomposition. Je rejoins la voiture avec tout l’équipement sur le dos et je me change. Je suis venu en Crête voir quelques sources que je pourrais explorer et j’ai besoin de l’aide de certains amis qui vivent sur l’île. Nous décidons de faire un tour de Crête ensemble afin de pouvoir nous rendre compte de sa topographie de surface et de sa relation avec le réseau hydrique sous-terrain. Le 25 Octobre, je pars donc avec Yannis et 10 autres personnes vers une zone au Sud de Rethymnon, le long du canyon de Samaria, le seul endroit de l’île où il y a de l’eau à cette période. Après deux heures de trajet, nous nous trouvons au milieu de fantastiques gorges qu’il nous est possible de traverser en voiture. En nous arrêtant pour attendre quelqu’un, nous apercevons un couple de bébés hermines sur le côté de la route. Elles regardent les alentours et après quelques minutes, regagnent les fourrés. En sortant des voitures, une bourrasque de vent nous balaye. Yannis explique qu’il est mieux de laisser les voitures ici et de descendre au fond de la vallée, 100m plus bas, à pied. Le chemin est très intéressant mais très court. Après cette descente, Yannis donne un cours théorique à quelques étudiants présents. Je décide donc d’aller visiter un monastère situé non loin de nous. Plus tard, nous démarrons un long voyage jusqu’à l’autre côté de l’île. Nous roulons lentement, pour qu’aucune des autres voitures ne se perde. Nous finissons par atteindre un petit monastère à flanc de colline où nous passerons la nuit. Nous dînons dehors, la température est froide : nous sommes à 800m d’altitude et un vent glacial souffle sans relâche. Je dors dans ma tente sur ma voiture parquée au bord d’une pente raide pour profiter de la vue sur la vallée. Le 26 Octobre, nous décidons d’explorer un « canyon sec ». Nous roulons le long d’une route de campagne en relativement bon état, et après une descende sur corde, nous parcourons le canyon. C’est la première fois que je descends dans un canyon sec, et ça doit faire un bon moment que je n’en n’ai pas vu un ! J’ai pu voir hier que les harnais utilisés ici sont différents de ceux qu’on utilisait il y a 10 ans, mais une descente sur corde ne change pas. Le froid est irritant et il faut constamment chercher abri du vent, c’est tout de suite moins amusant. Durant la descente, nous trouvons un bébé chèvre, et 30m plus bas,… sa mère, morte. Le petit a brouté toute l’herbe à sa portée mais il ne peut monter ou descendre. Yannis décide de le sauver : pendu à sa corde, il arrive jusqu’au petit et le porte en bas du précipice, jusqu’à ce qu’il soit hors de danger, 50m plus bas. Il y a déjà des oiseaux de proie qui volent au-dessus de nos têtes, à l’affut du festin qu’ils feront du corps de sa maman… Finalement, le petit court quelques mètres et gringotte un arbuste. On se dit au revoir et je pars pour Aghios Nikolaos, où je voudrais voir une autre source, pendant que les autres retournent à Héraklion. J’ai roulé à peu près deux heures le long de la côte sud avant d’arriver. Mais en regardant le lac, je réalise que comme il est situé au milieu de la ville et qu’aucun de mes amis grec n’est là, il me sera impossible de plonger. J’appelle donc Vassili, un ami de plus de 20 ans qui vit à Athènes, et il m’explique qu’il sera impossible de faire quoi que ce soit à cet endroit avant l’année prochaine. Je pars donc voir une autre source non-loin de là et c’est à nouveau une déception : l’eau sort de petites exfiltrations, et les fissures sont si petites que seul un petit elfe pourrait passer par là, …et ce n’est pas mon cas ! Le 27 Octobre, je retourne à la base par la route de campagne qui longe la côte, les seules personnes que je rencontre sont des bergers et leurs troupeaux de moutons et de brebis avec leurs petits. Je pense à ce destin tragique qui les attend lorsque la prochaine fête de village arrivera. Je me retrouve à Héraklion après le coucher du soleil : je suis seul, je n’ai donc pas d’horaire, je mange quand j’ai faim, je dors quand je suis fatigué, … la belle vie, quoi ! Le 28 octobre, c’est la fête nationale que je vais célébrer par, finalement, une plongée à Almiros pendant que Yannis et Katerina m’attendent hors de l’eau. Cette fois, j’étudie la topographie, pensant le pour et le contre de certaines profondeurs et des passages possibles. Je prends mon Bi, deux blocs déco et je démarre. A -24m, une galerie débute que je décide de pénétrer malgré le courant. Je continue doucement dans cette galerie sinueuse d’où partent d’autres passages. Je me concentre sur cette galerie principale que je suis sur quelques centaines de mètres jusqu’à un passage étroit par -35 dont je me souviens de la topographie. Quand j’essaie de passer, le courant me rejette et je ne pense pas pouvoir passer de l’autre côté avec les bouteilles sur le dos. De plus, je suis au bout de ce que je peux faire en circuit ouvert. Je dépose un bloc de sécu ici et je fais demi-tour. Aidé par le courant, je consomme beaucoup moins qu’à l’aller. Je fais surface 40 minutes plus tard. Le 29 octobre, je reviens avec Yannis qui plonge aussi car il voudrait faire quelques photos. Nous devions nous retrouver à 11h mais j’ai du retard. Mon recycleur latéral a des problèmes d’O-rings et je n’ai pas ma boîte à outils avec moi. Heureusement, je me suis débrouillé en en fabriquant de la bonne taille (en utilisant ceux du copis que j’ai coupés et collés ensemble…) Pendant que je tente de régler ces problèmes, le temps passe vite, Nikos et Katerina sont déjà là mais je ne parviens à réparer le recycleur qu’à 3h de l’après-midi! Bientôt tout est prêt sur le bord. J’utiliserai le recycleur ‘side-mount’ et deux 20L. J’enfile mon équipement aussi vite que possible mais le soleil commence à se cacher derrière la montagne et la lumière n’est plus bonne pour faire des photos ; malgré tout, Yannis enfile son humide et saute dans l’eau pour prendre quelques photos à la surface. J’ai du mal à avancer dans la galerie à cause du courant mais aussi à cause de tout le matériel, par contre je n’ai pas de problème de consommation de gaz avec le CCR donc je prends mon temps. Quand j’arrive au passage étroit, je me demande comment le passer au mieux. J’enlève une 20L, je la pousse dans le passage, mais le courant la rejette. J’essaie de passer le recycleur mais le passage est trop long… Après 30 minutes d’essais infructueux, je laisse tomber. Je laisse une 20L en place et je commence à rentrer. Je suis furieux contre moi-même : cette cavité doit être abordée différemment, Je dois agir plus calmement, spécialement lorsque ma configuration n’est pas adaptée à la cavité. Je décide de passer dans une galerie secondaire pour étudier l’endroit, mais après quelques mètres dans la boue, il y a une bifurcation. Dans un sens, je pars à contre-courant, dans l’autre, avec le courant. Celui-ci n’est pas trop violent et l’ancien fil de l’exploration est toujours en place Je décide donc de partir à contre-courant, mais après quelques mètres, je dois m’arrêter car le fil devient trop mauvais et je préfère ne plus le suivre. Je reviens dans l’eau opaque jusqu’à la galerie principale pour ressortir fatigué et écœuré : les plus petites bouteilles que j’ai avec sont un bi 10 et une 12L. Or la source a été explorée jusqu’à -90m et semble continuer plus bas… La nuit portera conseil. Le 30 octobre, je suis à nouveau devant la source, je décide de plonger avec une 20L pour aller jusqu’à l’étroiture puis de passer sur une 10L et une 12L pour la pénétrer. Ce matin, je suis seul à nouveau. J’utilise une corde et une poulie pour descendre l’équipement le long du mur : c’est bien pratique tout ça, sauf pour le fait que je dois monter et descendre constamment l’échelle pour accrocher et décrocher le matériel. Je prépare tout sur le bord, j’enfile mon étanche et je saute à l’eau. Je vérifie le détendeur de la 12L et je commence la plongée sur la 20L. Avec cette configuration, je me déplace plus rapidement dans la première portion de la galerie, j’arrive à l’étroiture avec 3 minutes d’avance. Maintenant vient le défi, et je n’ai pas l’intention de le perdre. Je laisse la 20L, et j’essaie de passer avec juste la 12L, … et je passe ! Je reviens un peu en arrière pour attraper la 10L et le dévidoir. J’en vérifie le détendeur et je la laisse au milieu du passage, j’attache le fil et je continue sur la 12L. La bonne visibilité m’aide beaucoup dans cette situation. A l’arrivée de l’autre côté, il y a bien un peu de touille qui décroche du plafond mais le courant l’emporte aussitôt. Je me sens vraiment heureux en descendant cette petite galerie jusqu’à -40m. En retournant, je rembobine le fil : s’il se brisait lors d’une crue, il pourrait devenir dangereux pour l’année prochaine, quand je reviendrai avec le bon équipement. Je repasse le passage étroit que je connais maintenant fort bien, et je reprends les blocs au passage. Après 15m, je vois une autre galerie équipée avec du vieux fil. Je pose les deux 20L et je tente d’entrer. Il y a peu de courant, je commence à tourner sur la droite mais lorsque je touche le fil, il se brise. Je prends mon dévidoir et ce faisant, je réalise que je pars avec le courant ! L’hydrologie de l’endroit est étrange et dangereuse ! Je m’arrête mais je reviendrai avec une corde, je voudrais regarder cet endroit qui permettrait peut-être d’éviter l’étroiture. En regardant les débris de vieux fils attachés aux parois, j’en déduis que cette cavité pourrait continuer, peut-être vierge et pleine de surprises ! Je sors après une heure, j’aligne les bouteilles le long du mur pour les remonter une par une et les charger dans la voiture. Finalement je suis bien content de cette plongée. Sur la route, je croise un autre plongeur, Yannis Mavrakis, qui me pose un tas de questions pour que je découvre après coup qu’il a rencontré les plongeurs français qui avaient exploré la source et en avaient tiré la topo en 1991. On décide d’aller diner ensemble pour discuter de cet endroit magique, des plongées, des travaux sous-marins, etc. Il est sympathique et semble content de parler en italien, grec ou anglais, peu importe ! Le 31 octobre, je vais à la source très tôt pour sortir toutes les bouteilles qui sont encore dans l’eau. Je dois tout ramener à la base pour charger la voiture. Yannis Bromirakis et Yannis Mavrakis sont tous deux là pour m’aider. Puis je prends une douche avec les derniers litres de ma douche solaire : la température avoisine les 30°, c’est plus chaud que les autres jours ! Le soir même, j’attrape le ferry pour retourner au Pirée. Je dors sur le pont humide et dans mon sac de couchage, je repense au voyage. J’ai vérifié et confirmé qu’Almiros est très intéressante et très compliquée, la cavité d’Aghios Nikolaos semble gigantesque mais la visibilité n’a pas l’air terrible, il y a une petite source impraticable, et il y a encore une ou deux cavités que je n’ai pas pu aller voir. L’année prochaine, je suis sûr de revenir avec l’équipement nécessaire pour affronter ces galeries. J’arrive au Pirée le 1er Novembre. Je décide d’aller saluer Yannis Kalopsis et de faire un peu de shopping : des olives, des câpres, de l’origan, du thé des montagnes et quelques infusions. A Patras, je rencontre mon vieil ami Nektarios, on dine ensemble puis je repars vers la maison. Cette année, j’ai peu exploré, j’ai surtout fait du repérage, mais cette expérience fut intéressante, car j’ai du me remémorer comment faire face à des plongées dans des endroits différents et nouveaux. Durant ces dernières années, j’ai oublié comment faire cela car j’ai exploré facilement surtout de grandes cavités. Almiros d’Héraklion, on se reverra l’année prochaine et cette fois, je serai prêt pour t’explorer !
Un remerciement tout particulier à Vassili Giannopulos et: Les sponsors: [Novità]
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